CHRONIQUES JOUVENCE  | 17 Février 2023


Les Songes de Mère Nature

 

Neige tenace, les corvées de pelletage se multiplient, mitaines gentiment déposées sur le calorifère à côté de notre cœur d’enfant, nous expirons l’air comme des dragons, c’est l’hiver. La saison peut nous faire sacrer de temps à autre, elle reste un des joyaux de la province. Mon pays n’est pas un pays, c’est l’hiver. Et l’hiver, c’est le territoire québécois qui devient une toile blanche dont nous avons le pouvoir d’y mettre les couleurs qui nous enchantent, quand tout semble en dormance.

 

Comme la couleur sourde d’une forêt en plein février. Vous me direz que c’est un mélange de brun, gris, vert et noir ; je vous répondrai que c’est un tableau d’écorces, de lacs gelés, d’épinettes et de mésanges. Mais ce si beau tableau, aussi paisible qu’il semble être, dort-il vraiment?

 

Je brise le suspense ; non, la forêt ne dort pas. Elle fait ce qu’on devrait tous et toutes faire durant l’hiver ; elle ralentit, se recentre, se renforce, tout en restant pleinement vivante. Sous un silence boisé, un monde complet se répare, transformant les coupes à blanc en de tristes cicatrices, métamorphosant la mort des bêtes et des arbres en engrais pour les prochaines pousses. Pendant que les feuilles mortes et les écorces s’improvisent manteaux du sol et des arbres, un phénomène grandiose se passe sous nos pieds : la vie continue, lentement. Sous nos pas pressés, la leçon nous est livrée. L’hiver est une ode à la lenteur. Nécessaire pour la survie de la forêt.

 

Et surtout, la forêt rêve les yeux ouverts.

 

Elle repense à l’année qu’elle a eu, à la naissance de milliers de bourgeons, à l’apprentissage des jeunes pousses, à l’éclosion des fleurs, à ses nombreuses valses avec le vent ou encore, ses danses sous la pluie. Elle repasse dans sa mémoire toutes les mères chevreuils, renards, ourses et souris, qui ont mis au monde dans le silence, la nuit et la Lune comme unique sage-femme. Elle doit verser une larme quand elle revoit les animaux fatigués se coucher une dernière fois ou encore les grands arbres craquer sous la pression d’une tempête. Et elle est sûrement inquiète face aux changements drastiques de température, à chaque gel qui suit une fonte, c’est un combat qu’elle doit mener, une blessure qui revient toujours à la surface et un jour, la forêt sera trop fatiguée pour guérir.  

 

Parmi ses rêves les plus fous, j’ose penser qu’elle souhaite timidement qu’on prenne soin d’elle autant qu’elle prend soin de nous. Elle doit rêver à une réciprocité entre elle et nous, elle doit rêver à de meilleurs jours, à la certitude qu’on prendra soin d’elle.

 

Éternelle optimiste.

 

Et si nous l’aidions à réaliser ses rêves? En réduisant nos empreintes, en sensibilisant notre entourage aux mille savoirs d’une forêt, en réfléchissant aux conséquences de nos actions individuelles et collectives, en ralentissant dans les sentiers pour enfin réaliser la grandeur du tableau. Nous ne sommes pas aussi pressés que nous ne le pensons. Nous avons toujours le temps de voir les couleurs écorce, lac gelé, épinette et mésange au lieu de voir le brun, le gris, le vert foncé et le noir.

 

 

Douce Sévigny